Bal d’enfants ( extrait)


Oui…  je dois m’ajuster ce matin.  Mon fils de 5e année a déjà travaillé le petit roman que je lui proposais cette semaine ( outch…  je ne m’en souvenais même pas! je dois vieillir… ha! )

J’ai donc choisi cet extrait ce matin :

Bal d’enfants

« (…) Le piano jouait très-fort, au fond du salon. Et, d’un bout à l’autre, le bal s’agitait dans une drôlerie adorable. On faisait cercle autour du quadrille où dansaient Jeanne et Lucien. Le petit marquis brouillait un peu les figures ; il n’allait bien que lorsqu’il lui fallait empoigner Jeanne ; alors, il la prenait à bras-le-corps, et il tournait. Jeanne se balançait comme une dame, ennuyée de le voir chiffonner son costume ; puis, emportée par le plaisir, elle le saisissait à son tour, l’enlevait du sol. Et l’habit de satin blanc broché de bouquets se mêlait à la robe brodée de fleurs et d’oiseaux bizarres, les deux figurines de vieux saxe prenaient la grâce et l’étrangeté d’un bibelot d’étagère.

Après le quadrille, Hélène appela Jeanne pour rattacher sa robe.

– C’est lui, maman, disait la petite. Il me frotte, il est insupportable.

Autour du salon, les parents souriaient. Quand le piano recommença, tous les bambins se remirent à sauter. Ils éprouvaient une méfiance, pourtant, en voyant qu’on les regardait ; ils restaient sérieux et se retenaient de gambader, pour paraître comme il faut. Quelques-uns savaient danser ; la plupart, ignorant les figures, se remuaient sur place, embarrassés de leurs membres. Mais Pauline intervint.

– Il faut que je m’en mêle. . . Oh ! les cruches !

Elle se jeta au milieu du quadrille, en prit deux par les mains, l’un à gauche, l’autre à droite, et donna un tel branle à la danse, que les lames du parquet craquèrent. On n’entendait plus que la débandade des petits pieds tapant du talon à contretemps, tandis que le piano continuait tout seul à jouer en mesure. D’autres grandes personnes s’en mêlèrent aussi. Madame Deberle et Hélène, apercevant des fillettes honteuses qui n’osaient se risquer, les emmenèrent au plus épais. Elles conduisaient les figures, poussaient les cavaliers, formaient les rondes ; et les mères leur passaient les tout petits bébés, pour qu’elles les fissent sauter un instant, en les tenant des deux mains. Alors, le bal fut dans son beau. Les danseurs s’en donnaient à cœur joie, riant et se poussant, pareils à un pensionnat pris tout d’un coup d’une folie joyeuse, en l’absence du maître. Et rien n’était d’une gaieté plus claire que ce carnaval de gamins, ces bouts d’hommes et de femmes qui mélangeaient là, dans un monde en raccourci, les modes de tous les peuples, les fantaisies du roman et du théâtre. Les costumes empruntaient aux bouches roses et aux yeux bleus, à ces mines si tendres, une fraîcheur d’enfance. On aurait dit le gala d’un conte de fées, avec des Amours déguisés pour les fiançailles de quelque prince charmant.

– On étouffe, disait Malignon. Je vais respirer.

Il sortait, ouvrant la porte du salon toute grande. Le plein jour de la rue entrait alors en un coup de lumière blafard, et qui attristait le resplendissement des lampes et des bougies. Et, tous les quarts d’heure, Malignon faisait battre la porte.

Mais le piano ne s’arrêtait pas. La petite Guiraud, avec son papillon noir d’Alsacienne sur ses cheveux blonds, dansait au bras d’un Arlequin deux fois plus grand qu’elle. Un Écossais faisait tourner si rapidement Marguerite Tissot, qu’elle perdait en chemin sa boîte de laitière. Les deux Berthier, Blanche et Sophie, qui étaient inséparables, sautaient ensemble, la soubrette aux bras de la Folie, dont les grelots tintaient. Et l’on ne pouvait jeter un coup d’œil sur le bal sans rencontrer une demoiselle Levasseur ; les Chaperons rouges semblaient se multiplier ; il y avait partout des toquets et des robes de satin ponceau à bandes de velours noir. Cependant, pour danser à l’aise, de grands garçons et de grandes filles s’étaient réfugiés au fond de l’autre salon. Valentine de Chermette, enveloppée dans sa mantille d’espagnole, faisait là des pas savants, en face d’un jeune monsieur qui était venu en habit. Tout d’un coup, il y eut des rires, on appela le monde, pour voir : c’était, derrière une porte, dans un coin, le petit Guiraud, le Pierrot de deux ans, et une petite fille de son âge, habillée en paysanne, qui se tenaient embrassés, se serrant bien fort, de peur de tomber, et tournant tout seuls, comme des sournois, la joue contre la joue. (…)

Émile Zola, Une page d’amour chapitre 4

Je n’en reviens pas encore…  soupirs…

C’est plaisant d’être en mesure de se retourner rapidement!  Mon fils a adoré cet extrait.

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