Mon fils de secondaire 2 débute sa prochaine année scolaire par une séquence de travail sur le roman policier. Nous débutons par ce premier texte :
———————————- La perle noire ———————————-
Adella Landell s’épongeait les yeux avec un de ses précieux mouchoirs réduit au misérable état de boulette.
-Jamais je ne me consolerai, commandant. Enfin, vous savez mieux que moi tout ce que représente cette perle, quels souvenirs historiques s’attachent à elle.
Un invraisemblable accent achevait de faire de la vieille et caricaturale Américaine un personnage de vaudeville. Mais le commandant Berteret ne songeait guère à sourire. Immobile au milieu de la luxueuse cabine, les traits affaissés, il regardait sans la voir la mer calme et grise, indifférente. Il fit, banalement :
-Croyez, miss, que je suis absolument navré.
Adella Landell eu une poussée de colère.
-Sur un cargo, passe encore. Mais imaginer une pareille chose à bord du Picardie!
-Que n’avez-vous déposé la perle noire dans nos coffres, en embarquant ? D’autant plus que la presse avait donné une telle publicité à l’achat de ce bijou, comme à votre voyage que nul ne pouvait ignorer…
-Je n’ai aucune confiance dans les coffres. Quand on sait l’habileté des voleurs aujourd’hui…
L’officier écarta les bras en une expressive mimique qui se pouvait traduire par l’apostrophe familière : « Vous êtes bien avancée maintenant ! »
Patrice, le détective du bord, allait, lui, de droite et de gauche à travers les bagages jonchant le sol, courbé en deux, évoquant irrésistiblement l’image d’un chien de chasse.
-Inutile de vous demander si vous êtes bien certaine de l’endroit où …
-Cette question ! Je vous répète que la perle noire était dans cette malle, sous mes combinaisons. Je l’avais glissé dans un bas.
-Très ingénieux. Et qui connaissait la cachette ?
-Personne, vous pensez bien ! Enfin, quand je dis personne… Ma femme de chambre, Alice, et ma soeur, Mrs Hanagan, étaient au courant. Mais vous n’allez pas soupçonner…
Patrice faisait jouer la serrure de la malle. Il se redressa lentement.
-Cette Alice est depuis combien de temps à votre service ?
-Combien de temps ? Attendez…Oui, c’est cela, dix-sept ans. Je l’ai engagée juste à mon retour du Tibet.
-Dix-sept ans ! C’est, en effet, une référence.
-Yes, référence… Si Alice avait dû me voler un jour, elle n’aurait pas attendu dix-sept ans.
C’était là l’évidence et le détective s’inclina.
-Vous avez également nommé votre soeur, reprit-il après un instant, et non sans gêne.
Cette fois, la vieille demoiselle éclata d’un rire nerveux.
-Oui, ma soeur, Mrs Hanagan. Peut-être ignorez-vous qu’elle vient d’épouser le roi du papier peint. Sa fortune doit se chiffrer par deux zéros de plus que la mienne.
-Mais je ne soupçonne personne, miss. Je cherche seulement à m’expliquer comment votre voleur a si facilement découvert…
Adella l’interrompit :
-Enfin, en ce qui me concerne, je vous précise que je n’ai pas encore assuré la perle noire… Pas eu le temps, d’abord. Il y a à peine huit jours que j’en suis possesseur… Et puis, ce n’est pas la petite fortune que représente ce bijou qui compte pour moi. C’est… C’est…
Sa voix s’étrangla et elle se remit à s’essuyer les yeux. Un silence régna, que l’impatient Patrice ne laissa pas se prolonger.
-Vous êtes demeurée combien de temps absente de votre cabine ?
-Une demi-heure au plus, j’étais au bar, avec ma soeur.
-Et où était Alice, pendant ce temps ?
-À la lingerie.
Le détective hocha la tête.
-Évidemment, notre inconnu a eu tout le loisir… Mais comment savait-il ? Comment? Comment ?
Il désigna d’un geste circulaire les bagages épars autour de lui.
-Car ne vous y trompez pas, mon commandant. Ce n’est pas là le désordre laissé par quelqu’un qui cherche, mais grossière mise en scène destinée à donner le change. Je parierai que le voleur est allé droit au but… et qu’il avait déjà la perle noire en poche lorsqu’il s’est amusé à fracturer – et avec quelle maladresse – toutes les autres malles.
-Maladresse ou non!…
Lorsque, une heure plus tard, les deux hommes se retirèrent, après avoir longuement interrogé la soeur, puis la domestique de la victime, leur enquête en était au même point. Tout de suite, ils purent se convaincre que la nouvelle du vol s’était déjà répandue de la proue à la poupe6 du navire. Partout, sur leur passage, le silence se faisait dans les groupes, et ils devinaient les regards curieux et inquiets attachés à leurs dos.
À pas rapides, ils gagnèrent le bureau du commandant, où ils se laissèrent lourdement tomber dans des fauteuils.
-Enfin, Patrice, vous êtes de mon avis. C’est… invraisemblable, cette histoire-là.
-Invraisemblable est le mot exact. Car, enfin, il ne peut y avoir que trois coupables.
-…et tous trois sont, de tout évidence, innocents. La fortune de Mrs Hanagan la met au-dessus de tout soupçon. Alice est la fidélité même. Quant à miss Landell…
-Elle n’est pas assurée. Par conséquent…
-Vous repoussez, naturellement, l’hypothèse d’une parole imprudente lâchée par une des trois intéressées ?
Patrice haussa les épaules.
-Vous les avez entendues comme moi. Mrs Hanagan et Alice sont suffisamment douées de bon sens pour ne pas s’être laissées aller à une telle confidence. Aussi bien, nous l’eussent-elles avoué. Quant à miss Landell, qui vivait dans les transes depuis qu’elle a acquis ce maudit bijou, elle était la dernière à aller raconter où elle l’avait caché.
-Autrement dit, nous en revenons toujours à notre conclusion : trois personnes seulement… et toutes trois incapables…
[…]
-Savez-vous à quoi notre affaire me fait penser ? … À ces exaspérants problèmes policiers, en apparence insolubles, que posent certains magazines, et dont la dernière page apporte, en une ligne, au lecteur confus, la solution enfantine.
-Je donnerais gros pour avoir cette dernière page, soupira comiquement Patrice.
-Adella Andell se tenait assise au milieu de ses malles, ses yeux étaient secs depuis longtemps, aussi était-ce d’un mouvement purement machinal que, pour la dernière fois, elle y porta son mouchoir réduit en boule. Après quoi, elle déplia avec précaution la fine étoffe et laissa couler dans sa paume un petit objet ayant la forme et la grosseur d’une noisette et la couleur du charbon.
Amoureusement, la vieille demoiselle contempla la perle, la porta à ses lèvres, murmura :
-Maintenant, ma beauté noire, les voleurs te chercheront partout, excepté ici. Enfin, je vais dormir en paix !
Boileau-Nercejac, «Quarante ans de suspense»
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Feuille de route
- Première lecture (seul) la veille.
- Reconnaître un roman policier et ses caractéristiques.
- Deuxième lecture du texte avec le jeune. Je tiens à cette deuxième lecture puisque c’est dans celle-ci que je vérifie la compréhension «réelle» de l’enfant. On en profite pour ajouter des informations qui pourraient être pertinentes et utiles à la compréhension du texte : vocabulaire, histoire, contexte, etc.
- Discerner les éléments qu’on s’attend à trouver dans un récit policier (un crime, une enquête, des suspects et une résolution) (voir mon document de travail)
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Si cela vous intéresse :
La perle noire
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