Le charmeur de serpents (texte)


Voici un des textes qui prend place dans la semaine de mon fils de secondaire 1 (5e).  Il servira à revoir le schéma du récit et quelques éléments surprenants du texte.

Le charmeur de serpents
par
Léontine Drapier-Cadec

Antoine Plassard est introuvable ; depuis plus d’un mois, il n’est plus le même, il s’en va tout seul, il a un secret.

Une heure après la rentrée, il arriva, tranquille, souriant, gauche et charmant comme d’habitude.

Antoine a huit ans, une figure toute blanche et tavelée de rousseurs et des cheveux de lin. Il me regarde de ses grands yeux bleus de doux farfelu ; mais je ne me laisse pas séduire : «Antoine, je veux savoir où tu vas courir? Je le dirai à ta mère ».

Il devient tout triste et, d’une voix qui reproche : «Je suis resté avec mes petites vipères, je leur donne à manger.»

Bien des fois, j’ai perdu toute ma classe qui pillait un cerisier, piégeait un blaireau, barrait un ruisseau ; mais jamais je n’avais eu affaire à un charmeur de serpents.
C’était trop beau ! Quelques enfants pâlissaient ; moi, comme un soleil rayonnant, toujours prête à admettre l’invraisemblable, pas une seconde je n’ai été incrédule.

« O Antoine, ô mon cœur, viens tout de suite nous les montrer. »

Je prie, supplie, promets monts et merveilles, mais Antoine ne semble pas vouloir partager son trésor.

«Non, dit-il, elles auraient peur. »

Alors, je menace, je foudroie de la voix et des yeux les fauteurs de trouble :
« Celui qui fera du bruit sera puni. Il ira dans la classe de Monsieur, jusqu’à la nuit, jusqu’à la fin des siècles !

— Viens Antoine, viens mon cœur ! »

Et je pousse les enfants vers la porte. Mon enthousiasme étouffe les craintes, les hésitations et la sagesse qui essaie de me dire que c’est tout de même l’heure de la classe.

On quitte la grande route et Antoine prend le chemin creux de Spernéger où les arbres font une voûte de cathédrale. Là, je m’en souviens, Nana Grallet, Marguerite Boucher se mirent à pleurer; mais ce n’est plus le moment de reculer, je les tiens d’une main ferme.

«Bécassines ! Antoine les connaît ! Elles ne nous feront pas de mal ! »

Pour ma part je le suivrais au bout du monde !

Antoine s’est arrêté près d’un gros arbre creux, et à vingt pas derrière lui, nous sommes dans l’attente angoissante, émerveillée.

Sans toucher son front, ni lever les mains au-dessus de sa tête, paume contre paume -non, aucun sortilège apparent — il a seulement sifflé tout doux pour appeler qui dort, appeler sans surprendre. Sa bouche a fait deux ou trois sons menus, trois notes pures de flûte que chacun a reçues dans son cœur comme des mots d’amour… Et, l’une après l’autre, cinq petites têtes sont venues se poser en hésitant sur le bord du trou, jaunes et vertes, jolies comme des bijoux dans un écrin ; elles ne bougeaient pas : elles avaient trouvé leur ami, leur maître.

Sans doute, Antoine leur dit-il des choses douces, que je n’entends pas, qui n’atteignent pas le rêve où nous vivons ; il s’excuse sans doute de n’avoir plus de pain à leur donner et il promet de revenir demain ; ce qui est sûr, c’est que si nous avions entendu les petites bêtes répondre : « Merci, Antoine ! Au revoir ! », aucun enfant n’aurait été étonné. Nous étions envoûtés, en état de grâce. Tout était possible.
Il avança sa main prudente et d’un doigt d’officiant, il caressa tendrement les petites têtes immobiles. Alors, elles se hissèrent vers lui et se balancèrent comme des fleurs au bout de leurs tiges frêles, des campanules dans le vent.

Et lui, tourné vers moi, il me sourit des lèvres et des yeux ; par ce regard et ce sourire, il me faisait «son homme lige», j’entrais avec ravissement dans la confrérie des funambules, des enfileurs de perles et des pêcheurs de lune…

Vous vous moquez et pensez que j’ai vu certainement une auréole autour du front pur d’Antoine ? Un jour, si, comme lui, vous êtes un enfant du Dimanche, je vous le dirai.

Léontine Drapier-Cadec. Kervez, ce paradis ( «vers la composition française 6e-5e»)

~~~Travail sur le texte~~~

  1. «Antoine n’est plus le même… il a un secret.»  Quel est ce secret?  Antoine fait une révélation surprenante, incroyable.  Laquelle?
  2. Comment cette révélation est-elle accueillie.  Par la classe?  par la maîtresse?  celle-ci prend une décision, qui n’est peut-être pas raisonnable.  Quelle décision?  Quelle phrase exprime les scrupules de la maîtresse?
  3. On se met en route, vers le secret, vers le mystère.  Et le lecteur fait aussi partie de la troupe.
  4. Et voici le moment décisif, le point culminant du récit.  Relis le passage qui dit comment Antoine appelle ses petites amies et comment celles-ci lui répondent.  Nous assistons, nous aussi, un peu émus, à une scène étrange.  Quelle phrase la décrit?
  5. Ce qui suit, c’est le dénouement.  Quel sous-titre pourrions-nous lui donner?
  6. Et maintenant, tournons-nous vers les spectateurs, qui viennent d’assister à ce mystère, à cette sorte de miracle.  Une phrase dépeint leur attitude.  Quelle phrase?
  7. Et toi, en définitive, que penses-tu de ce récit?  Es-tu attiré, comme la maîtresse, par ce qu’il présente d’exceptionnel, de mystérieux?  Es-tu tenté de t’engager, comme elle, dans la confrérie?

~~~Écriture~~~

Girl with little fennec fox by Swan-Lake

Cette jeune fille n’a-t-elle pas, elle aussi, charmé ce petit fennec?  Dis quels sentiments elle paraît éprouver pour lui, si l’on juge ce que l’on voit.  Et lui, le fennec, est-il confiant?

 

Je me suis inspirée, en partie, d’un vieux manuel : «vers la composition française 6e-5e»

~~~ si cela vous intéresse~~~

Le charmeur de serpents p.11-15

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