La sorcière amoureuse (texte)


C’était une vieille, très vieille sorcière. Elle habitait une maisonnette au fond des bois, près de la source des trois rochers.

Un soir, au  soleil couchant, un jeune homme passa devant sa fenêtre. Il était beau. Plus beau que les princes des contes de fées. Et bien plus beau que les cow-boys des publicités télévisées.

La vieille sorcière fut émue, tout d’abord, puis troublée, enfin, amoureuse. Plus amoureuse qu’elle ne lavait jamais été.

Naturellement, elle ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle feuilleta toutes sortes de vieux grimoires remplis de formules magiques, elle courut les bois à la recherche d’ingrédients mystérieux, elle coupa, hacha, mixa, mélangea, pesa, ajouta, remua, goûta…Et au petit matin, elle mit en bouteilles un plein chaudron d’élixir pour rajeunir.

Au début de l’après-midi, elle avala une bouteille d’élixir. Comme c’était très amer, elle procédait ainsi : un verre d’élixir, un carré de chocolat, un verre d’élixir, un bonbon à la fraise. Et, ainsi de suite. Après le dernier verre, elle était redevenue jeune et jolie. Si jolie qu’elle aurait pu faire carrière au cinéma. Ou devenir institutrice.

Avec deux toiles d’araignées, un peu de poudre de crapaud et une formule magique découpée dans le journal des sorcières, elle se confectionna une merveilleuse robe décolletée, garnie de dentelles. Dans son jardin, elle cueillit une rose blanche qui venait de s’ouvrir, la trempa dans un philtre d’amour et l’épingla à son corsage.

Aussitôt après elle s’assit sur un banc, devant la porte, et attendit. Elle n’attendit pas longtemps. Sur le chemin, au soleil couchant, apparut le beau jeune homme, vêtu d’un riche costume brodé d’or, une fleur blanche à la boutonnière.

Le jeune homme salua la sorcière, la conversation s’engagea et, comme la sorcière était pressée, au bout d’un quart d’heure, le jeune homme était fou amoureux. Cinq minutes après, ils échangeaient leur premier baiser.

Puis, brusquement, la sorcière se leva et dit très vite :

  • A demain, mon bel amour !

Elle s’enferma à double tour dans sa maisonnette.

Il était temps ! Quelques secondes plus tard, la belle jeune fille était redevenue une vieille, très vieille sorcière : l’élixir avait cessé d’agir.

Et ce fut ainsi tous les jours. Une bouteille d’élixir pour rajeunir, des mots d’amour murmurés, quelques baisers échangés, puis très vite, des adieux pressés.

Le beau jeune homme ne se plaignait jamais. Non. Il disait en souriant : « Adieu, ma belle ! » et il partait sans même se retourner.

Après quelques semaines, par un bel après-midi d’été, la sorcière déclara au jeune homme qu’elle voulait l’épouser.

Le jeune homme baissa les yeux en rougissant et ils fixèrent le mariage au lendemain matin.

Le lendemain, donc, la vieille sorcière avala trois grandes bouteilles d’élixir pour rajeunir. Ça lui donna d’atroces douleurs d’estomac, mais il fallait bien en passer par là.

Les deux amoureux se marièrent au village voisin. Puis, ils s’en retournèrent bien vite jusqu’à la maisonnette au fond des bois.

Dès qu’ils furent entrés, la sorcière ferma la porte à double tour : dans la cuisine, elle prépara une tisane pour son jeune époux, puis alla chercher dans la salle à manger les gâteaux aux pattes de mouches qu’elle faisait elle-même.

Mais l’élixir avait cessé d’agir. Quand elle revint à la cuisine, elle était redevenue une vieille, très vieille sorcière, au nez crochu, aux dents gâtées et à la peau plus ridée que du papier froissé.

Lorsqu’il la vit ainsi, son jeune mari la fixa un long moment, sans rien dire. Puis, soudain, il éclata de rire.

  D’après Bernard Friot, Histoires pressées

 

Un travail possible?  Inventer une fin à cette histoire.

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Texte_La sorcière pressée

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